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La Peinture Contemporaine Aborigène

La peinture aborigène s’exprime depuis des milliers d’années sous forme d’art rupestre sur les rochers, de peintures sur écorce (bark painting), de peintures corporelles rituelles et de peintures dans le sable.

Exception faite de l’art rupestre, les autres peintures étaient créées lors de cérémonies afin de transmettre aux plus jeunes les secrets du Temps du Rêve, et destinées ainsi à être détruites pour ne pas être divulguées aux non-initiés.

Pendant la période de la colonisation au XIXe et première moitié du XXe siècle, l’Art Aborigène fut méprisé ou, au mieux, appréhendé dans une perspective purement ethnographique.

Au milieu des années 30, un artiste australien enseigna aux Aborigènes la peinture des paysages à l’aquarelle dans le style occidental. Cette peinture eut alors son succès mais aucun écho véritable dans l’expression indigène.

Pendant ce temps, le peuple aborigène faisait l’objet d’un véritable génocide, qui s’ensuivit par l’époque des « générations volées ».  En conséquence, la culture indigène, uniquement transmise par voie orale, était en voie d’extinction.

Ce n’est que dans le contexte de la reconnaissance et de l’émancipation des droits des aborigènes dans les années 70 qu’une poignée d’artistes, originaires du Centre Rouge, a été incitée à transcrire leur art rituel sous une forme durable en peignant sur des toiles et en utilisant de la peinture acrylique.  Au delà de la démarche culturelle, ce mouvement a été le point fort de revendications politiques et sociales.

Au départ, l’utilisation des « dots » – points de couleur – est  largement le langage commun utilisé. C’est la reprise pure et simple de leur façon de recouvrir le sol de pointillés réalisés avec des pigments naturels (craie, argile, ocres, charbon de bois) à l’aide de bâtons de bois,  lors des cérémonies.  L’art aborigène étant indissociable d’un art spirituel, les thèmes sont essentiellement des histoires du Temps du Rêve et des traditions orales transmises par leur aïeux.  Le plus souvent, c’est une sorte de carte vue du ciel des terres dont leurs tribus sont responsables vis à vis des esprits ancestraux.  Les signes sont codifiés pour la représentation des campements, des points d’eau, des chemins , des personnages, des traces d’animaux.  Comme il y a toujours un message spirituel caché dans ces peintures, il fallait l’assentiment des Anciens du clan pour que les peintures soient commercialisées.

Malgré la prédominence de la technique des points, une autre expression s’est épanouie en peinture sur écorce avec la reprise des motifs de peintures rupestres appelées parfois « rayons X ».

Dans  les années 80, le mouvement s’est affirmé et s’est ensuite propagé aux autres communautés .

         

Les Communautés ne sont actuellement pas nécessairement synchronisées dans l’évolution de leur art. Certaines s’expriment encore, et notamment pour des raisons commerciales, avec des motifs pointillistes caractéristiques des années 70, alors que d’autres centres artistiques ont évolué d’un art collectif vers un art individuel.

              

Depuis fin 90,  à l’instar des autres créatifs contemporains, l’artiste va fusionner son héritage culturel avec ses émotions : il va signer ses œuvres, ses œuvres seront protégées par un copyright, et accompagnées d’un certificat d’authencité.

    

Ipso facto, cela pose la question de la pertinence à continuer à singulariser l’art aborigène plutôt que de l’assimiler à l’art australien contemporain.

Ce thème de la Peinture Aborigène Contemporaine me tient particulièrement à cœur et je suis ravie de partager une réflexion qui s’est développée en moi depuis plusieurs semaines.  A partir d’Alice Springs, j’ai instinctivement ressenti qu’il fallait dépasser l’approche commerciale des motifs caractéristiques en pointillés sous lesquels on nous ensevelissait dans les bazars à touristes.

J’ai souvent échangé avec des galeristes engagés, ou des guides, j’ai regardé de nombreuses vidéos dans les centres culturels, j’ai vu des artistes travailler, j’ai « volé » des photos dans les musées et les galeries, j’ai squatté les librairies.

Cela m’a permis de démêler les écheveaux et d’être persuadée qu’une peinture contemporaine aborigène existe vraiment en tant que telle et que cet Art est en marche.

Je ne suis pas naïve et je me rends bien compte que l’Art Aborigène bénéficie actuellement d’une discrimination positive et que reconnaître ce mouvement est aussi une façon pour l’Australie de s’acheter une bonne conscience après des politiques insensées de génocide et de générations volées.

Je me rends compte également de l’effet pervers qui consiste à cantonner commercialement l’Art Aborigène actuel à des motifs pointillistes décoratifs facilement identifiables, pour en profiter économiquement ( le prix des toiles est généralement astronomique) tout en réduisant son expression à un document folklorique!

Je suis convaincue maintenant que l’Art Contemporain Aborigène repose sur une lourde histoire, qui démontre une formidable adaptation des Aborigènes pour faire survivre leur culture ancestrale et qui, fort de ses racines, continue à évoluer dans le monde moderne.

J’espère que les dérives perverses n’entraveront pas  l’essor de ce mouvement de réconciliation.

Cela me touche énormément, car c’est, à mon avis, un grand point de réussite qui contrebalance la misère des hommes et des femmes aborigènes que nous avons vus dans le Top End ou dans le Centre Rouge, qui apparaissent à la dérive, coincés et traqués entre un monde ancillaire dont ils ont perdu les clés et un monde moderne qui est complètement étranger à leur ADN.

Frédérique

Un Commentaire

  1. Bravo Frédérique
    Tes investigations sont passionnantes

    Que de beaux souvenirs!

    Biz