CURIEUX DU MONDE

L'étranger est un ami que l'on n'a pas encore rencontré.

Impressions Birmanes.

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Séjourner un mois entier dans le pays nous a permis de donner « du temps au temps ».

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Nous nous sommes laissés submerger par les premières impressions, nous avons pu observer, voir, ressentir, écouter, sans la pression d’une analyse immédiate… laisser  » fermenter » nos expériences en nous donnant le temps de revivre des émotions, de changer d’avis, de nous saturer aussi… pour le meilleur et pour le pire, puis de commencer à décanter ce vécu, prendre du recul tout en restant dans le contexte, dégager ainsi les points essentiels qui nous ont marqués avant que notre perception ne se déforme dès notre retour en France.

Pour l’essentiel voici ce qui nous a le plus interpelé :

Pour nous, le Myanmar était globalement birman et bouddhiste, point à la ligne.

Pour avoir parcouru le Myanmar du Nord au Sud et d’Ouest en Est, nous avons pu constater de grandes différences culturelles, un communautarisme exacerbé, une disparité de richesse forte entre le centre Birma et l’Etat Shan par rapport aux autres Etats ou Régions, une présence militaire armée très renforcée dans certaines provinces et aucune visible en Birma, des rapports de presse propagandistes quasi quotidiens sur des échauffourées meurtrières dans les zones fermées accusant les minorités de rébellion.

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En fait, le Myanmar est composé de plus de 143 ethnies! Ce qui met tout de suite en lumière la problématique d’une cohésion nationale harmonieuse.

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Comme en témoigne son histoire, différents royaumes se sont constamment affrontés pour imposer leur domination et imposer une unité forcée sur cette mosaïque ethnique.
Aux mêmes causes, les mêmes effets: après avoir obtenu son indépendance vis à vis des anglais en 1948, la démocratie qui devait s’instaurer a succombé aux luttes communautaires pour mourir dans le pouvoir de la junte militaire en 1962. Quarante ans de dictature et de fermeture du pays ont permis de régenter de main de fer toutes ces disparités, sans réussir toutefois à les annihiler.
Après le renoncement de la junte militaire au pouvoir absolu, la Constitution de 2008 organise le pays en 7 Etats, 7 Régions et 6 enclaves autonomes!
Le fonctionnement du Parlement est prodigieusement compliqué: tous les élus civils représentant 75% des sièges ne participent pas aux mêmes décisions, ni aux mêmes Assemblées. Ce Parlement a cependant pour vertu, de l’avis même de l’Ambassade de France, de faire progresser les minorités dans les débats politiques.
Toutefois, 30 ou 40% des élus civils de ce Parlement émanent de l’ethnie dominante birmane et bouddhiste qui s’allie généralement au 25% des militaires non élus pour trancher les grandes questions nationales. Ipso facto, le pays est donc gouverné par des Birmans bouddhistes…

A l’encontre de nos idées reçues, nous avons été grandement étonnés que l’opposition politique puisse s’exprimer aussi ouvertement. Nous nous attendions à affronter un silence de plomb et nous avons été largement surpris de voir comment les nombreux partisans de la National League for Democracy (NLD – parti de l’opposition de Ang Sang Su Kyi) affichaient ouvertement leur opinion avec force pancartes et discours diffusés par hauts parleurs, combien la célébration du 100eme anniversaire de naissance du Général Ang Sang (père de « The Lady », telle qu’elle est appelée respectueusement ici) a été commémoré bruyamment par la population ( défilés de camionnettes klaxonnant, auto-collants, drapeaux du parti).

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De même nous avons été surpris que des paysans expropriés soient autorisés à squatter au centre de Yangoon, devant la Cour de Justice, sans se faire déloger manu militari.

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Idem pour les manifestations estudiantines qui ont eu lieu durant notre séjour et qui n’ont pas été réprimées violemment, voyant une majorité de leur revendications satisfaites.

Une opposition s’exprimerait-elle là où nous nous y attendions le moins, comparé au Vietnam et au Laos figés dans un parti communiste unique?

Une réelle mais incomplète ouverture de l’espace politique est en train de se produire avec le fonctionnement d’un Parlement qui devient de plus en plus actif , et la préparation des nouvelles élections qui doivent avoir lieu cette année.

Point de naïveté excessive tout de même: un ou deux milliers de détenus politiques sont toujours en prison, des enfants soldats sont encore enrôlés de force, des réquisitions arbitraires sont opérés pour des travaux forcés. Nous sommes témoins de ce spectacle désolant d’hommes et de nombreuses femmes, condamnés à des travaux forcés qui construisent les routes en cassant les cailloux à la masse, en les pelletant à la main et les transportant sur leurs épaules. Inimaginable travail de forçats, au motif officiel que ces pauvres hères n’auraient pas payé leurs impôts!

Selon les termes mêmes du gouvernement, le pays est dans le processus d’instaurer une démocratie  » disciplinée « .
Il nous semble que les Généraux souhaitent opérer une transition progressive leur permettant de préserver leurs intérêts économiques. Le gouvernement jugule l’explosion meurtrière des communautarismes en signant des accords de pacification avec les différents états. Cette pacification est largement fondée sur des accords commerciaux. Pour les ressources naturelles de moyenne importance, l’avantage est donnée à la minorité concernée avec un large intéressement aux élus locaux, afin qu’ils consentent à être mis à l’écart des gros gisements qui font alors l’objet de contrats avec la Chine et autres pays étrangers par des structures privatisées détenues par des investisseurs birmans amis du pouvoir.
C’est pour cela que les paysans spoliés de leur terre pour une immense mine de cuivre peuvent toujours camper à Yangoon…
Sans soutien de leurs élus locaux corrompus, trop minoritaires pour que le NLD ne s’en empare sans être accuser de parti pris pour une seule minorité.
C’est peut être aussi pour le gouvernement une occasion de se donner une image de tolérance démocratique à bon compte!

Alors que les habitants des campagnes vivent dans des conditions d’hygiène précaires mais semblent manger à leur faim et sont quasiment tous équipés de smart-phones (rechargés par panneau solaire!), c’est leur niveau d’éducation désastreuse qui nous a inquiété.

En cause les salaires de misère des enseignants du public, qui ne s’occupent en classe que des enfants dont les parents payent des cours particuliers et une méthode d’apprentissage basée sur la répétition au détriment de la réflexion.

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Cette méthode de la répétition semble directement héritée de la pratique locale du Bouddhisme qui assène plusieurs fois par jour et toutes les nuits des répétitions de mantras par des haut-parleurs énormes empêchant des villages entiers d’échapper à leur emprise sonore et mentale.

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Bien que le Bouddhisme ne soit plus une religion d’état depuis la Constitution, elle l’est de fait.
À l’instar de la junte qui prônait  » la voie socialiste vers le Nirvâna » , les Généraux et leurs  » proches » financent actuellement la construction de nombreuses pagodes y compris dans des zones à majorité musulmane ou chrétienne. La manœuvre est clairement de canaliser les pensées, de réduire l’influence des autres religions, de cultiver et de mélanger abusivement les superstitions locales avec la foi.
Entre le manque d’éducation et ce lavage de cerveau religieux, nous avons sans cesse été les témoins ahuris de démonstrations exagérées de superstition.
Pour exemple, cette pratique consistant à déposer des feuilles d’or sur des statues de Bouddha, jusqu’à la difformité absurde, pour faire exaucer un vœu.

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Dans ces conditions, nous nous sommes largement interrogés sur la position actuelle des Bonzes. Jouent t’ils encore dans la cour du pouvoir? Nous n’avons pas de réponse. Nous les avons vu quémander leur nourriture, nous les avons souvent vus affalés des après midi entières dans des fauteuils à jouer avec leurs smartphones, des « Abbés Supérieurs » se comportant comme des stars avec photos sur grands panneaux publicitaires en bord de route afin d’attirer les donations pour leur pagode, des monastères fonctionnant comme des collèges privés d’élites et d’autres monastères donnant l’opportunité aux enfants pauvres de manger à leur faim et de recevoir des rudiments d’instruction. Il est évident que le clivage est important entre les Bonzes riches des grandes villes et des lieux de pèlerinage, et ceux qui vivent dans des conditions spartiates parmi des populations rurales pauvres.

En ce qui concerne la qualité artistique du patrimoine du Myanmar, nous résumerons ainsi notre appréciation: la Quantité prime sur la Qualité.

Des Bouddhas à vous donner le tournis, les pagodes aux 8000 bouddhas, puis celles aux 9000!!!! Et ainsi de suite…incompréhensible pour nous, occidentaux.

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Depuis que le Myanmar s’est résolument ouvert au tourisme, et qu’un site comme Bagan a été classé au Patrimoine mondial par l’UNESCO, le gouvernement a procédé à des « ré-édifications  »
massives de stupas en ruines et les rares monuments dits authentiques ont aussi fait l’objet de grossières restaurations.
Dans le paysage pictural, peu de peintures murales anciennes subsistent, exception faites des grottes de Po Win Taung.

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Il en est de même pour la sculpture autre que celles de Bouddhas. Nous avons parcouru beaucoup de chemin pour découvrir le  » joyau » du pays a Mrawk U. Il faut etre bon public!

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En revanche, malgré une ingestion massives de Bouddhas, nous avons avec le temps apprécié les différents styles et trouver beaucoup de spiritualité dans certaines réalisations.

Nous concluons donc ce voyage avec un sentiment mitigé.
Nous sommes dépités par la connivence et la goinfrerie des agences françaises et locales , qui sur-vendent à prix d’or un concept de récente ouverture du pays avec des prestations touristiques de masse. La sensation d’avoir été saignés comme des pigeons est très forte, ce qui ne fait pas de nous des rubis de Mogok!

Nous sommes également déçus par la cuisine birmane baignant dans l’huile, déçus par la qualité esthétique des sites archéologiques rénovés ou plutôt reconstitués à la truelle et surtout très antagonisés par les nuisances sonores quotidiennes émanant des pagodes, à des niveaux de décibels indescriptibles de jour et de nuit.

Et pourtant, ce long séjour nous a conduit très proche de la vie quotidienne des habitants: les treks nous ont initié à la vie rurale, les paysans ont souvent eu la fière générosité de nous offrir leur friandises ou leur alcool de sucre de canne, la nuit au monastère reste une expérience très forte, la visite de villages uniquement accessibles après 6 heures de bateau nous a fait rencontrer des gens heureux de notre venue, la foison de l’artisanat nous a enchanté , notre immersion dans la pratique religieuse bouddhiste sur des sites de grands pèlerinages nous a dérangés et bousculés l’absence de mendicité et sentiment permanent de sécurité sont très appréciables, et le plus précieux de notre voyage est d’avoir reçu tant de grands sourires et d’autres innombrables signes chaleureux de la main qui dépassent largement le barrage de la langue….

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Voyager c’est prendre le risque d’être heureux et mais aussi d’être désenchantés… Toutes les expériences vécues en font sa richesse.

Elles intensifient notre vie que nous savourons avec gratitude à chaque instant, surtout lorsque nous concluons notre périple asiatique sur les somptueuses plages de Ngapali …

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Un Commentaire

  1. Merci pour toutes ces belles photos et ces explications fort intéressantes.