Après une rapide course dans son village, notre riche négociant Lala est impatient de regagner sa belle haveli. Il attend depuis plusieurs jours le passage d’une caravane de la route de la soie. Il est fier de se rappeler que depuis quatre générations, sa famille d’origine marwari s’est implantée dans cette région du Shekhawati, et qu’en ce premier quart du 19ème siècle, ses affaires prospèrent plus que jamais.
Aussi, sa demeure doit elle être attractive pour les marchands et être une démonstration de sa réussite. Lala n’a pas hésité à solliciter des artisans réputés pour recouvrir entièrement ses façades avec des fresques en alternant de grands motifs avec des balcons et des loggias en pierre très finement ouvragés.
Comme toute haveli, son agencement interne respecte scrupuleusement les usages sociaux et les impératifs familiaux ainsi que la séparation hommes/femmes.
Bien que la bâtisse soit massive, l’entrée est réduite à une solide porte tant pour la sécurité que pour la discrétion et ouvre sur une première cour bordée de deux salles dans laquelle Lala peut recevoir ses hôtes pour parler affaires et les loger éventuellement.
Pour flatter sa clientèle la plus fortunée, Lala a aménagé un des salles avec une magnificence exceptionnelle : des scènes mythologiques sont surmontées par une frise de Krishna, divinité titulaire chez les Shekhavats, dansant avec ses gupis (ou groupies en terme moderne!) et le bleu caractéristique du visage de Krishna est illuminé par tout l’or des plafonds.
En revanche, les hôtes ne franchiront jamais la magnifique porte de teck de Birmanie, finement ciselée et protégée par Ganesh, gardien du seuil qui donne accès à la deuxième cour.
Ceux sont ses quartiers privés et notre notable a tenu à y réaliser une décoration exquise. Il n’a pas résisté à la coquetterie de se faire peindre en train de peigner sa moustache.
Comme les femmes mariées ne pouvaient sortir de l’haveli, Lala faisait peindre des fresques relatant les événements contemporains.
Heureusement, qu’un moucharabieh discrètement placé, permettait tout de même aux femmes d’épier les visiteurs.
Dans cette seconde cour, la famille au sens large cohabite: la réserve d’eau dans les poteries et la cuisine sont partagées,
Les enfants jouent sur du sable au centre de la cour, une sorte de basilic sacré y est planté pour tous les protéger.
Chacune des familles peut jouir d’un espace privé fermé .
Lala s’est réservé une des chambres les plus grandes du premier étage, qui donne à la fois sur la cour intérieure et sur le toit. De son toit terrasse,
il peut surveiller si tout se déroule bien dans son caravansérail, attenant à son haveli. Lala ne sait pas encore que les progrès techniques des transports vont supplanter les routes traditionnelles des caravanes chamelières et que le commerce va évoluer avec la présence des Britanniques et la concurrence de la Compagnie des Indes. Mais bon sang ne saurait mentir: les générations suivantes prendront d’assault le business de Bombay et de Calcutta, et fidèles à leur Shekhawati, elles continueront à embellir leur opulente demeure en se singularisant par des fresques étonnantes de la modernité du début du XXème siècle.
Aujourd’hui les havelis ne sont plus habitées que par des gardiens « d’époque »,
Elles sont noyées dans le tissu urbain,
Certaines ont même été transformées en école,
Alors que d’autres font l’objet de restaurations attentives.
20 février 2018 à 6 h 09 min
Merci pour toutes ces explications